mercredi 30 mai 2007

Le patrimoine colonial en débat: entre restauration, restitution et abandon

Conférence
Le patrimoine colonial en débat : entre restauration, restitution et abandon

Le thème peut paraître désuet, superflu, inactuel et même provocateur dans le contexte délicat d’une Afrique souffrant aujourd’hui de plusieurs maux. Il serait, en effet, légitime de s’interroger sur le bien fondé d’une problématique qui met en jeu un certain patrimoine colonial pendant que des millions d’âmes croupissent dans la misère et que des peuples entiers doivent, désespérément, combattre quotidiennement la dictature pour sortir la tête de l’eau. Mais pour peu que l’on transcende les premières impressions en poussant l’analyse plus loin, il est aisé de se convaincre de l’opportunité du débat, celui-là même qui a rassemblé un public autour d’un groupe de spécialistes le vendredi 27 mai 2007 au Goethe Institut de Lomé. A la table ce soir-là, Bernard Müller, chercheur et commissaire d’exposition indépendant français ; Kangni Alem, écrivain et professeur chercheur à l’Université de Lomé ; Thierry Bonnot, ethnologue et historien français ; A. Goeh-Akué, historien à l’université de Lomé et comme modérateur, Martin Gbénouga, chef de département de la faculté des lettres modernes à l’UL.
La conférence s’inscrivait dans un projet plus vaste dénommé « Broken Memory » et a démarré depuis quatre ans par « Curio », une association qui conçoit, produit, et réalise des projets interdisciplinaires. La préoccupation, ici, n’est pas celle d’une volonté inconditionnelle à rendre possible le retour ou seulement la restauration des butins de guerre arrachés pendant les conquêtes coloniales. Il s’agit juste de créer un espace de réflexion et d’échanges en faveur d’une compréhension plus maîtrisée de l’environnement social, culturel et politique actuel d’où toute l’actualité du sujet. En effet, il n’échappe à personne aujourd’hui que c’est pendant la colonisation qu’ont été noués beaucoup de liens qui subsistent encore aujourd’hui entre les pays occidentaux et leurs ex-colonies. Le projet, il faut le reconnaître, est polémique mais a le mérite d’inciter à la réflexion et surtout à la réalisation d’un inventaire des traces de la colonisation en vue de mieux se situer par rapport à la question. Cette option, c’est à M. Müller, initiateur du projet « Broken Memory » qu’il est revenu la charge de l’expliquer à l’assistance. En présentant donc son projet qui est animé par un groupe international composé de chercheurs, artistes, critiques … et qui comporte plusieurs volets à savoir des conférences, des expositions … , l’orateur a rappelé la tendance actuelle qui est partagée entre une option valorisante et une autre négligente du sujet. Ce n’est, en effet pas un certain Nicolas Sarkozy, président français de son état et animé par l’idée que faire un mea culpa pour ce qui concerne l’esclavage est un aveu de haine de soi, qui s’investirait dans un débat pareil. M. Müller n’a pas manqué de citer quelques uns des butins aujourd’hui exposés dans des musées occidentaux et faisant juridiquement partie du patrimoine national de ces pays-là. Il s’agit entre autres, des objets d’art saisis en 1887 au Nigeria, de cette statue emblématique ayant appartenu au roi Gbéhanzin de Dahomey et qui est actuellement en exposition au musée de Louvre en France. Le crâne du sultan de l’actuelle Tanzanie emporté depuis 1898 est quant à lui, revenu au bercail dans les années 50.
L’intervention de M. Kangni Alem a été le compte rendu d’une traversée dans le nord Togo, notamment à Binaparba et Katchamba à la recherche des traces de la colonisation dans l’imaginaire des populations. Les empreintes sont évidentes et leur approche, les diverses versions parfois contradictoires qui en sont données ne font que traduire un intérêt encore vivant du passé colonial dans les esprits.
M. Thierry Bonnot s’est, plutôt lui, intéressé aux restes des grands hommes et ce, dans le souci de convaincre son auditoire de l’importance que peut présenter les vestiges pour l’épanouissement d’une civilisation et au-delà le caractère économique qu’ils peuvent revêtir.
Mais, c’est quoi, le patrimoine et c’est quoi la colonisation ? Quel lien convient-il d’établir entre les deux ? Pour répondre à ces questions, le regard de l’historien Goeh-Akué selon qui le patrimoine existe sous ses formes tangibles et immatérielles qu’il faut d’abord reconnaître avant de se les approprier. Ce qui paraît une évidence chez le professeur d’histoire, c’est que pendant cette période trouble de l’humanité que l’on a nommée « colonisation », c’est au finish, l’âme de l’Afrique qui a été emportée. Une idée reprise par nombre d’intervenants au cours du débat qui a suivi les exposés, débat, par ailleurs très riche et parfois houleux.
Nathalie Akakpo

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