lundi 18 juin 2007

Hommage à Sembene Ousmane à travers « Xala »

Hommage à Sembene Ousmane à travers « Xala »

Dans la nuit du samedi 09 à dimanche 10 juin 2007, un grand de l’Afrique a quitté ce monde pour toujours. Sembene Ousmane, romancier et « doyen des anciens cinéastes africains » comme il aimait à se faire appeler , a tiré sa révérence à l’âge de 84 ans. Voici ici, un hommage à lui à travers une critique de « Xala », l’un des films les plus appréciés de son répertoire riche d’au moins 15 œuvres cinématographiques.
La trame est celle d’un quinquagénaire El Hadj Abdou Kader Beye, homme d’affaire Sénégalais, par ailleurs, membre d’une certaine chambre de commerce où il côtoie les plus hautes sphères de la politique. Ils sont, dans leur club, les nouveaux riches qui tiennent les rênes de la société. El Hadj, imbu de sa puissance économique, va épouser, par devoir, une troisième femme nettement plus jeune que lui. Le mariage sera célébré avec faste. Ses deux premières épouses, malgré leur colère, sont tenues de participer à la cérémonie où elles se sentiront de trop. Adja la première souffre en silence. Oumi la seconde rend visible sa douleur mais reste impuissante comme d’ailleurs Rama la fille de Adja qui bien avant la cérémonie, s’est vue gratifier d’une belle gifle de la part de son père. Le soir de la célébration, le drap nuptial est demeuré immaculé. « Il n’y a rien eu », dira la nouvelle mariée à sa mère. Abdou Kader Beye est frappé d’impuissance. Il a le « xala ». Alors commence pour lui le calvaire. Les marabouts consultés lui prescriront des pratiques ridicules ; encore plus ridicules que celles consistant à enfourcher un mortier et sensé éloigner le mauvais sort que lui avait conseillé sa nouvelle belle mère le soir du mariage et qu’il avait rejetée. Pour payer le bon marabout qui avait fini par le rendre de nouveau homme, il n’a plus que ses chèques sans provision. Ce dernier lui rendra plus tard, ce que « sa main lui avait enlevé ». Abandonné de par ses deux dernières épouses, exclu de la chambre par ses pairs, dépouillé de tous ses biens, El Hadj Abdou Kader Beye ne sera plus que l’ombre de lui-même. Puis, vient le tour des mendiants de se venger de lui. Parmi ces « déchets humains mauvais pour le tourisme du pays » tel qu’il les traitait auparavant, un fils de paysans que El Hadj avait, des années plus tôt, spolié en falsifiant leur nom. Celui-ci lui infligera une bonne séance d’humiliation.
Ce long métrage de 128 minutes pose le triple problème de la polygamie, de l’identité culturelle des Africains au lendemain des indépendances et de la probité morale dans la gestion de la chose publique. Oeuvre du cinéaste Sembene Ousmane, « Xala » rend compte avec fidélité, des vicissitudes d’une époque dans un genre qu’on peut qualifier de néoréaliste. Un réalisme effrayant en effet. D’abord, l’instinct dominateur de l’homme qui écrase le sexe faible de tout son poids économique. Un sexe faible qui, de son côté, se plait dans l’hypocrisie en feignant le consentement même lorsqu’il se sent brimé au plus profond de lui-même.
L’hypocrisie, voilà le trait de caractère qui se retrouve à tous les niveaux de la société dépeinte. Ainsi la modernité pour laquelle la nouvelle classe dirigeante opte, ne se révélera que comme une position hypocrite s’adaptant de manière opportuniste aux situations comme un caméléon prend les couleurs de son environnement. Lorsqu’il s’est agi de prendre une nouvelle épouse. El Hadj s’est rapidement souvenu que la modernité ne doit pas lui faire oublier ses traditions qu’il a reniées en d’autres circonstances. D’où le problème de l’identité culturelle qui jette un flou sur l’état d’âme même des Africains de l’après indépendance. Ils ne sont « ni poils, ni duvets » comme le dira la troisième belle-mère du puissant homme d’affaire. Mais est-ce aussi la modernité qui leur fait ériger leur fortune sur le dos des pauvres ? De toutes façons, ils finiront par payer leur mal comme le montre si bien le sort réservé au héros à la fin du film. Et ce sera la grande leçon de ce long métrage.
Engagé, Sembene Ousmane l’est jusqu’au bout. « Xala » aura été une description parfaite des interrogations de l’époque en question. Les rôles sont bien tenus d’une manière générale par leurs détenteurs. « Xala » souffre cependant de mauvais éclairages comme d’ailleurs la plupart des films africains. Le caractère peu illisible du générique du film écrit tout en rouge vient en rajouter à cette défaillance mais n’enlève rien au professionnalisme de ce film sorti en 1973 et diffusé plusieurs fois sur la Télévision Togolaise.
Nathalie Akakpo

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