samedi 19 mai 2007

Note de lecture

Note de lecture

Léopold Sédar Senghor
Genèse d’un imaginaire francophone
(Jean Michel Djian)

D’abord le titre. Eloquemment formulé ! Voilà réellement ce qui peut en être dit lorsque comme par magie, l’histoire d’un homme (Léopold Sédar Senghor) peut se confondre ou tout au moins, se comparer à la genèse d’une institution (francophonie). Et pourquoi imaginaire ? Juste pour dire que ce qui, au début n’était que rêve, qu’imagination, a fini par exister. Francophone ou francophonie, c’est l’idée conçue, entretenue puis accouchée.

Jean Michel Djian, journaliste français et auteur de plusieurs ouvrages sur la politique culturelle ne pouvait pas mieux trouver pour nommer cette œuvre qui, publiée chez Gallimard en 2005, affiche à la couverture, le portrait d’un Senghor dans son âge mûr, un bâton de cigarette entre l’index et le majeur. L’image est forte et annonce, sans détour, la prétention de la présentation d’un Senghor « nu », c’est-à-dire, dans ses œuvres et dans ses passions. Pour y parvenir, Jean Michel Djian s’est inspiré des témoignages écrits et oraux d’une pléthore de personnes ressources dont Abdou Diouf (successeur de Senghor à la tête du Sénégal) et Aimé Césaire (écrivain martiniquais), deux êtres qui, non seulement, ont vécu dans l’entourage du poète-président mais ont aussi œuvré avec lui.
L’ouvrage est en prose. Une prose qui n’hésite pas pourtant à glisser sur le terrain poétique à chaque fois que l’auteur le juge nécessaire ou plutôt à chaque fois qu’imprégné à satiété des élans lyriques de celui sur qui il écrit, le journaliste se laisse emporter, oubliant ponctuation et autres normes caractéristiques de la prose, pour tomber, presque naturellement, dans la poésie. Parfois, devant certaines audacieuses prises de position de Senghor, il se surprend tout simplement en pleine séance de (compliment ?) qualification (c’est le mot juste) : « Nous savons que la colonisation est un phénomène universel, qui, à côté de ses aspects négatifs, a certains aspects positifs » Courage. Hardiesse. P.105
L’ouvrage en lui-même dépasse le cadre d’une simple biographie. C’est tout une page de l’histoire qui a commencé avec la naissance de Senghor en 1906 dans un village sénégalais appelé Joal. Sa terre natale faisait partie d’un ensemble qui était déjà sous protectorat français et contrôlé par le roi Mbacke Ndep Ndiaye. Séminariste raté, il s’est finalement orienté vers l’enseignement avec un faible prononcé pour la langue française. Après son baccalauréat reçu avec mention, il se retrouva à l’école normale supérieure où il rencontra Georges Pompidou sous l’influence duquel il s’ouvrit à la littérature française contemporaine. Dans les milieux noirs, il a rencontré Léon-Gontran Damas, Aimé Césaire, Alioune Diop et beaucoup d’autres. Il connaissait personnellement les plus grands écrivains français contemporains dont André Gide, Gaston Gallimard… Mais ce qui frappe vraiment chez Senghor, c’est sa forte croyance en la parole comme action. Un peu comme le pensait aussi François Mitterrand : «Je suis de ceux qui croient qu’un langage est, et reste, la structure fondamentale de la société. » p.149
Senghor était un passionné de la culture qu’il faisait passer avant la politique. En cela, il a été parfois incompris par son peuple. Il a lutté pour les indépendances, pour la promotion des valeurs nègres. Mais il n’affectionnait pas moins les valeurs françaises, la langue surtout. Au-delà du concept de négritude, l’enfant de Joal est donc allé plus loin. Il s’est approprié et conforté celui de la francophonie. Il a bâti, avec de Gaulle, « pierre par pierre, l’institution francophone ». « C’est un français peint en noir! », s’exclama Houphouët-Boigny à son sujet. P.146. Après l’accession du Sénégal à la souveraineté le 20 juin 1960, le poète-professeur devient le premier président élu de son pays. L’histoire lui reconnaît bien de prouesses constructives à la tête du Sénégal mais l’homme aux lunettes avait, tout comme ses pairs africains, eu des moments de faiblesse : Arrestations accompagnées parfois de sanctions très sévères (prison à perpétuité, exécution). Il fit, à deux reprises, modifier la constitution de son pays…
Marié deux fois, il a connu des moments douloureux dans sa vie : Mobilisation par l’armée française et capture durant deux ans par les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Suicide d’un de ses enfants. Mort par accident d’un autre.
Mais il a connu aussi des moments de gloire : En 1935, il est le premier africain à être reçu à l’agrégation de grammaire. Une abondante publication : « Chants d’ombre », 1945 ; « Ethiopiques », 1956 ; « Lettres d’yvernages », 1973…
A 74 ans, Senghor quitte volontairement le pouvoir pour se consacrer à l’écriture. 21 ans plus tard en 2001, il rendît l’âme, à 95 ans, dans « sa » France d’adoption plus précisément en Normandie. La boucle était bouclée. Une vie riche en événements et en actions dont l’auteur, également professeur à Paris 8 rend compte dans un style finalement romanesque. Oui, Senghor, c’est tout un roman. Jean Michel Djian use et abuse d’images : « Le démiurge du langage châtié a parlé. Fermez le ban. » P.135. Ici, chaque mot peut trouver un sens dans tout contexte et souvent, sans même l’apport de guillemets. C’est tout un art. Et les insinuations se justifient toujours.
Le livre fait revivre de grands moments historiques : mouvement de la négritude, la colonisation, la lutte pour les indépendances, la genèse de la francophonie etc.… On y trouve également des discours, des extraits d’écrits sur Senghor et de Senghor lui-même, certaines de ses correspondances. Pour donner un caractère scientifique à son œuvre, le fondateur de l’Université ouverte de Tombouctou y fait figurer un volet chronologique mettant en valeur la place de Senghor dans l’histoire de la francophonie et un entretien qu’il a eu sur lui avec Aimé Césaire en automne 2005 à Fort-de-France. Il faut également signaler que l’ouvrage comporte une importante iconographie. Finalement, les passions de Senghor ne seront rien d’autre que ses œuvres littéraires. Il aura essentiellement vécu pour sa passion littéraire. « Léopold Sédar Senghor , Genèse d’un imaginaire francophone », un livre à lire absolument.
Nathalie AKAKPO

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Félicitation nathalie pour ce joli blog Il te faudra maintenant l'alimenter en l'actualisant chaque jour ok?